COURRIER no 51, mai 2000
L’aberration du conseil forcé
Nouvelles de l’étranger

Le régime du délai devant le Conseil des Etats
Une importante victoire d’étape

Le 7 avril, la Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a approuvé le principe du régime du délai, ce qui rapproche l’USPDA nettement de son but.

Par 7 voix contre 5, la Commission a rejeté la proposition du PDC pour une consultation obligatoire auprès d’une deuxième instance agréée par l’Etat.

Contrairement à la décision du Conseil national, la Commission entend toutefois obliger le médecin traitant à conduire avec la femme un entretien approfondi et à attirer son attention sur la possibilité de consulter gratuitement un centre spécialisé. En outre, la Commission propose que les personnes qui refusent de collaborer lors d’interruptions de grossesse ne doivent subir aucun désavantage.

Il est tout à fait probable que le Conseil des Etats prenne une décision sur le régime du délai lors de sa session de juin. L’USPDA est optimiste que la majorité du Conseil se ralliera à la proposition de la Commission.

Quoi que décide le Conseil, il restera une divergence par rapport au Conseil national. On peut néanmoins s’attendre à ce qu’un consensus soit trouvé cette année encore (session d’automne ou d’hiver) et que le régime du délai soit définitivement approuvé par le Parlement.

Une votation populaire à coup sûr

Les opposants extrémistes à l’IVG ont déjà annoncé qu’ils lanceront le référendum à cette solution, mais ils ne devraient pas rencontrer un large soutien. Si le Parlement parvient à un compromis raisonnable, il nous paraît plutôt improbable que le PDC fasse cause commune avec les extrémistes. Reste à voir si le référendum aboutira.

De toute manière il y aura une votation, puisque l’initiative extrémiste qui demande l’interdiction absolue de l’avortement, initiative sous le nom trompeur "pour la mère et l’enfant" a pu être déposée de justesse avec 100’000 signatures valables.

Conseil controversé

Il était à prévoir que la discussion politique au sujet du régime du délai allait se focaliser sur l’entretien de conseil. Dès le début, l’USPDA avait rejeté la proposition du PDC qui demande, sur le modèle allemand, un deuxième entretien obligatoire auprès d’un centre de consultation agréé. Avec le Groupe de travail "Interruption de grossesse", nous avons fait depuis 1993 un immense travail d’information auprès des parlementaires et du public pour faire accepter un régime du délai qui n’impose pas d’entretien de conseil obligatoire.

L’opinion du Groupe de travail peut se résumer ainsi:

  • Les femmes ont droit à être informées et conseillées.
  • Un entretien obligatoire est refusé.
  • Il faut développer une offre large et accessible de centres de consultation.

La décision de la Commission du Conseil des Etats peut être considérée comme le succès du travail sérieux que nous avons fourni. Cette décision tient compte de la proposition du PDC tout en satisfaisant dans une large mesure à nos propres idées. Les conseils prodigués par le médecin font partie de sa déontologie professionnelle et l’obligation de renseigner les femmes sur l’offre gratuite des centres de consultation existants est même un avantage.

Par contre, le caractère obligatoire d’une consultation va complètement à l’encontre de la philosophie du régime du délai, qui vise à responsabiliser la femme et à la rendre autonome dans sa décision. Il serait disproportionné de punir pour avortement illégal la femme qui n’aurait pas respecté l’obligation de la consultation.

En règle générale, les femmes concernées s’entretiennent avec leurs proches et sont déterminées lorsqu’elles voient le médecin. Un entretien obligatoire supplémentaire constituerait alors un pur alibi. La Suède a tiré les conséquences de cette expérience en supprimant, au 1er janvier 1996, l’entretien qui était obligatoire jusque là pour les interruptions de grossesse entre la 12e et la 18e semaine.

La comparaison des pays européens montre que la diminution du nombre d’IVG ne passe pas par l’imposition d’un deuxième entretien de conseil, qui n’existe qu’en France et en Allemagne, mais par une politique de prévention et l‘existence de structures sociales destinées aux familles avec enfants.

Les spécialistes estiment que, du point de vue psychologique, l’entretien obligatoire est une contradiction dans les termes. Il va à fins contraires puisqu’il n’incite pas à la communication, mais provoque la résistance. Lors de la procédure de consultation en 1997, les organisations compétentes (psychologues, travailleurs sociaux, conseillères en planning familial, médecins) se sont clairement opposées à l’introduction d’une telle obligation.

Objection de conscience

Ce qui nous fait moins plaisir c’est ce que la Commission du Conseil des Etats a ajouté au sujet du droit du personnel médical à refuser de participer à une IVG.

Une telle disposition n’a pas sa place dans le code pénal. Elle n’a rien à voir avec les conditions qui doivent être remplies pour que l’interruption de grossesse soit non punissable.

En outre, les pays qui connaissent une telle disposition ont fait de mauvaises expériences: par exemple dans le sud de l’Italie, les interventions illégales, faites par des non professionnels, se pratiquent encore parce que justement là-bas, dans de nombreux hôpitaux, personne n’accepte d’effectuer une IVG. Pour cette même raison, il y a en Autriche et en Espagne des régions sous-dotées à ce niveau médical.

Chez nous, des opposants et des opposantes extrémistes à l’avortement se sont constitués en un groupe "hôpital concerné". Ils pratiquent "l’objection de conscience" et excitent les autres membres du personnel à en faire autant, avec le but systématique d’empêcher toute IVG dans les hôpitaux. Dans plusieurs cantons, ils ont essayé de faire introduire le "droit à l’objection de conscience" dans le droit cantonal.

En aucun cas un droit du personnel médical à l’objection de conscience ne doit être introduit dans la législation s’il n’est pas précisé en même temps que:

  • le droit du patient/de la patiente aux soins médicaux dans le cadre de la loi et l’obligation de l’hôpital à remplir son mandat sont prioritaires;
  • personne n’a droit à un poste qui refuse d’exécuter une partie du travail du cahier des charges pour ce poste (par ex. collaborer lors d’une IVG);
  • tout-e professionnel-le de la santé qui refuse de fournir certains soins doit immédiatement en informer le patient ou la patiente et doit les aiguiller sans délai vers un service qui assure ces prestations.

C’est dans ce sens qu’il convient d’améliorer la proposition de la Commission du Conseil des Etats.


L’aberration du conseil forcé

(Extrait d’une interview menée par le journal féministe EMMA avec les conseillères Marlis Meckel et Elvira Nagel du service social ouvrier allemand concernant leur expérience avec le conseil obligatoire en Allemagne. EMMA 10/90)

[…] Emma: Qu’en est-il de l’assertion selon laquelle les femmes seraient souvent forcées par leur partenaire à avorter?

Meckel: Dans notre travail quotidien, cette situation ne se présente guère. Même pas pour les femmes dont on pense en général qu’elles sont oppressées par leurs maris. Sur cette question-là, même les femmes turques par exemple décident elles-mêmes!

Emma: Les femmes enceintes sans l’avoir voulu – est-ce qu’elles désirent vraiment être conseillées ou viennent-elles uniquement vous voir parce que c’est obligatoire?

Meckel: Le 98 % des femmes qui viennent nous consulter savent très bien ce qu’elles veulent et ne changent pas d’avis. Elles ne veulent pas ou plus d’enfant! C’est sur cette base qu’elles choisissent le centre auquel elles s’adressent. Elles ne désirent pas être persuadées de faire un autre choix. Si la femme cherche plutôt de l’aide financière pour garder la grossesse au lieu de l’interrompre, elle ira au centre de consultation catholique ou évangélique. Si elle est déterminée à l’IVG, elle viendra chez nous. C’est un choix clairement prémédité. […]

Nagel: Souvent la femme dit tout simplement: "Je désire interrompre cette grossesse". Clairement et fermement. La loi part de l’idée que toutes les femmes seraient en butte à de terribles conflits et tourments. La pauvre victime doit se déterminer entre la vie et la mort. Pourtant, les femmes qui viennent consulter me donnent l’impression d’être très fortes. "J’ai longuement réfléchi", me disent-elles, "pour moi, il n’y a pas d’autre solution."

Meckel: […] Les femmes savent très bien elles-mêmes ce qui est bon pour elles et ce qu’elles peuvent supporter.

Nagel: Au début de chaque entretien, je demande aux femmes si elles savent quel est le sens de cet entretien. Le plus souvent elles disent que non. Ou elles me disent: "Vous devez sans doute essayer de me persuader de garder la grossesse. " […] Selon mon expérience, la consultation forcée n’est d’aucune valeur pour la femme. Même si elle pensait: "Un entretien de réflexion pourrait me faire du bien" – l’obligation anéantit cette impulsion. Tous ceux qui ont une idée de ce que signifie un entretien de conseil savent que le caractère facultatif de cet entretien est une condition préalable pour la réussite de celui-ci. C’est une question de professionnalisme.


Nouvelles de l’étranger

Italie

Pour l’année 1998, le nombre d’interruptions de grossesse a de nouveau baissé. Avec 138’000 contre 231’000 interventions, une baisse-record a été enregistrée. Grâce à cette chute de 40 %, l’Italie compte aujourd’hui parmi les pays européens qui ont les taux d’avortement les plus bas.

Les avortements clandestins étaient encore estimés à 100’000 en 1983, alors qu’aujourd’hui, l’Institut central de statistiques Istat pense que ce nombre se situe entre 20 et 25’000. Ils se rencontrent principalement en Italie méridionale, où les hôpitaux sont nombreux à refuser de pratiquer l’IVG et où la contraception efficace ne s’est pas encore implantée aussi bien qu’au nord.

Une nouvelle tendance s’exprime dans le fait que parmi les femmes concernées on trouve toujours plus d’étrangères. Leur taux d’avortement est quatre fois plus élevé que celui des Italiennes – un phénomène qui se retrouve dans de nombreux pays de l’Europe occidentale.

Malgré cette évolution positive, les partis de droite n’en ont pas moins utilisé la publication de ces chiffres pour critiquer la solution du délai en vigueur depuis 1978. L’Alleanza nazionale (néo-fasciste) a annoncé bruyamment qu’elle avait l’intention de réviser la loi dans un sens restrictif, si la droite gagnait les élections. Toutefois ses partenaires politiques, la Forza Italia de Berlusconi, est divisée sur ce point.

La gauche et les radicaux défendent la loi en faisant remarquer que le nombre d’avortements pratiqués par des non-professionnels a diminué massivement. Ils exigent une meilleure application de la loi et des efforts accrus pour renforcer les mesures de prévention, notamment au sud et parmi les immigrées. Depuis que la solution du délai est entrée en vigueur en 1978 et a été approuvée en 1981 lors d’un référendum par 68 % des votants, les polémiques n’ont jamais cessé.

Allemagne

En 1999, le nombre enregistré d’interruptions de grossesse a diminué de 1’300 et atteint son niveau le plus bas – 130’470 – depuis l’introduction de la solution du délai, le 1er janvier 1996. 97 % des interventions ont été faites à la demande de la femme (après l’entretien de conseil obligatoire) et 3 % par suite d’indications médicales. En 1990, le nombre d’interruptions de grossesse était encore de 145’270.

Nombre d’IVG enregistrées en Allemagne

Année

Nombre

.

1990

145’267 enregistrement incomplet

1995

97’937

1996*

130’899 enregistrement plus complet

1999

130’471
* Nouvelle loi en vigueur au 1.1.96

Sur l’injonction du Pape, l’Eglise catholique se retire peu à peu et dans toute l’Allemagne des services offrant la consultation obligatoire pour l’obtention d’une interruption de grossesse non punissable. Des organisations catholiques laïques ont l’intention de créer prochainement des centres de consultation indépendants de l’Eglise pour combler cette lacune.

France

A l’occasion du 25e anniversaire de l’entrée en vigueur de la "Loi Veil" (solution du délai), les organisations féministes ont manifesté en janvier par toute la France en faveur d’une amélioration de la situation actuelle. Leurs revendications:

  • supprimer la réglementation de l’IVG dans le Code pénal pour la faire figurer dans le Code de santé publique;
  • insister sur la qualité médicale des services d’IVG, mais également sur l’accompagnement; informer de façon adéquate sur les différentes méthodes d’IVG et en garantir le choix;
  • supprimer toutes les mesures restrictives (le délai très bref de 12 semaines d’aménorrhée, l’autorisation parentale pour les mineures, la clause de domiciliation);
  • supprimer l’interdiction de la stérilisation;
  • une position ferme des pouvoirs publics face aux groupes extrémistes qui attaquent les centres d’IVG;
  • ne pas laisser se répandre l’excuse de la "clause de conscience" pour le personnel et les différentes structures.

Finlande

Après que le nombre d’interruptions de grossesse ait diminué pendant plus de 20 ans, il a commencé à augmenter légèrement à la fin des années 90. Ce phénomène, selon les spécialistes, est dû entre autres au fait que le prix de la pilule a augmenté de 30 %. Fait significatif à relever: a été épargnée par ce renversement de la tendance une région où des programmes systématiques de planning familial avaient été organisés. (A. Vikat et autres: Exposé fait à la "European Population Conference", la Hague, 1999)

Irlande du Nord

La loi britannique sur l’avortement n’est pas applicable en Irlande du Nord. Dans cette partie du Royaume-Uni, une loi restrictive datant de 1928 est toujours en vigueur. Ce qui explique que les femmes de l’Irlande du Nord se rendent en Angleterre pour obtenir une interruption de grossesse ou bien la font pratiquer illégalement.

Vingt-six femmes viennent de déposer une plainte juridique et exigent que la loi britannique s’applique aussi en l’Irlande du Nord. Au besoin, elles ont l’intention de porter le cas jusque devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.

Pologne

En Suisse, certains adversaires de l’avortement exigent une loi restrictive "pour stopper le génocide de nos enfants". En d’autres termes: pour hausser le taux de natalité des Suissesses. Que l’interdiction de l’avortement n’arrive pas à encourager à la maternité, l’expérience polonaise nous en apporte une fois de plus la preuve.

Quoiqu’en 1993, la loi sur l’avortement qui était jusqu’alors libérale ait été restreinte de manière spectaculaire, le taux de natalité a diminué de manière sensible: de 1,9 enfants par femme en 1992 à 1,4 en 1999.

En 1999, pour la première fois, la Pologne a enregistré un excédent de décès. Les Polonaises utilisent des moyens contraceptifs toujours plus efficaces. Mais il y a encore de nombreux avortements. Seulement, ils se pratiquent désormais dans la clandestinité, ou alors à l’étranger. La conséquence de l’interdiction de l’avortement est qu’après 1993, des femmes sont de nouveau mortes des suites d’avortements illégaux.

Europe orientale

En Turquie, l’avortement a été légalisé en 1983. Depuis lors, les décès suite à un avortement illégal ont disparu.

La même chose s’est passée en Albanie où l’avortement a été légalisé en 1991. Aujourd’hui, le nombre d’interruptions de grossesse légales commence à diminuer, grâce à un meilleur accès à la contraception.

Dans beaucoup d’autres pays de la région, la promotion du planning familial et la diffusion rapide des méthodes contraceptives modernes a fait diminuer considérablement le nombre d’avortements. En Moldavie, Roumanie et Slovaquie, ce nombre a chuté de moitié au cours des 10 dernières années.

Amérique latine

Partout, en Amérique latine, l’Eglise catholique fait peser le poids de son pouvoir et de son influence sur toutes les questions relatives au planning familial et à l’avortement. Tous les pays connaissent donc de sévères interdictions en matière d’avortement. L’Eglise combat avec véhémence la moindre tentative d’assouplissement. Pourtant, le nombre d’avortements (forcément illégaux) est élevé. Il se monte à 4 millions par an pour l’ensemble du continent, à 37 avortements pour 1000 femmes (en Suisse, à titre comparatif : 8,3 / 1000). Environ 20 % de la mortalité maternelle est imputable aux complications d’avortements clandestins.

Bolivie

Le code pénal bolivien tolère l’interruption lorsque la grossesse met en danger la vie ou la santé de la femme enceinte, ou lorsqu’elle est la conséquence d’un viol ou d’un inceste. Toutefois, les dispositions d’exécution font défaut. C’est pourquoi, au milieu de l’année 1999, il fut possible à un juge de refuser l’IVG à une fillette de 11 ans qui avait été violée par son beau-père. L’Eglise avait mis tout en œuvre – par ses propres médias, intervention du nonce du Vatican, processions – pour mettre sous pression les autorités et le corps médical.

 Brésil

Malgré une forte opposision des évêques, le lobby des femmes est parvenu à ce que le gouvernement oblige les hôpitaux publics brésiliens à pratiquer les interruptions de grossesse admises par la loi. Celle-ci permet l’IVG lorsque la grossesse est le résultat d’un viol ou qu’elle met en danger la vie de la femme. Le gouvernement propose de reconnaître également comme motif valable une sévère malformation du fœtus. En 1997, plus de 200’000 Brésiliennes furent hospitalisées pour complications à la suite d’avortements clandestins.

Pérou

Selon les sources officielles, 2000 femmes meurent chaque année au Pérou des suites d’avortements réalisés par des non-professionnels. Les femmes convaincues d’avortement illégal sont passibles de 2 ans de prison.

Salvador

En 1998, la loi sur l’avortement, déjà très restrictive, a encore été renforcée : l’avortement n’est maintenant toléré en aucun cas. Les peines de prison ont été augmentées de 2 à 8 ans.

Comme si cela ne suffisait pas, le droit à la vie "dès la conception" a été inscrit dans la Constitution. Les enquêtes menées par le "Center for Reproductive Law and Policy" ont révélé que l’Eglise catholique s’était mobilisée massivement pour cette inscription dans la Constitution. Le Parlement avait été mis sous forte pression. Des cars scolaires remplis d’enfants furent affrétés en vue de manifestations dans la capitale et des fidèles furent contraints à signer une pétition à la sortie de l’Eglise.

Pour les femmes, il est devenu encore plus difficile de trouver un avorteur clandestin. Et lorsque des complications surviennent, elles n’osent s’adresser aux hôpitaux, de crainte d’être dénoncées.

Venezuela

Les lobbies de la Conférence des Evêques et du Vatican sont demeurés sans succès. Dans la nouvelle Constitution, l’adjonction "dès la conception" a été rayé de l’article garantissant le droit à la vie. Par contre, un nouvel article a été inscrit qui reconnaît aux couples le droit au planning familial. La nouvelle Constitution a été acceptée à la fin de 1999 par 71 % des voix, malgré la contre-propagande de l’Eglise.


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