COURRIER no 53

En Suisse, les choses avancent lentement
Le régime du délai à nouveau reporté

Depuis huit ans, le Parlement fédéral peine sur un régime du délai. Lors de sa session d’hiver, le Conseil national a approuvé en deuxième lecture un compromis acceptable, mais la partie n’est pas encore gagnée au Conseil des Etats. Pourtant, l’opinion publique est faite depuis longtemps : elle veut le régime du délai.

Au printemps 1993, la conseillère nationale Barbara Haering Binder avait déposé une initiative parlementaire, cosignée par 62 collègues de huit partis politiques, demandant la révision du code pénal et l’introduction d’un régime du délai.

Cinq ans et demi plus tard, en octobre 1998, le Conseil national approuvait en première lecture et par 98 voix contre 73 une modification de la loi allant dans le sens souhaité. Deux nouvelles années passèrent et, le 21 septembre 2000, le Conseil des Etats approuva un projet édulcoré; ce fut un vote serré (21 voix contre 18). Le 7 décembre dernier, le Conseil national s’alignait en partie sur la décision du Conseil des Etats.

Le compromis du Conseil national

L’espoir de voir les deux Conseils éliminer leurs divergences lors de la session d’hiver s’est envolé. Pourtant les deux Chambres se sont considérablement approchées l’une de l’autre: le principe fondamental – selon lequel la décision quant à une interruption de grossesse pendant les 12 premières semaines (calculées à partir du début des dernières règles) appartient à la femme – est clairement accepté. Les deux Chambres se sont mises d’accord sur l’obligation faite au médecin de conseiller la femme de manière approfondie avant l’intervention et de l’informer sur l’offre des centres de consultation existants.

Il reste néanmoins deux divergences à applanir pendant la session de mars : le Conseil national, contrairement au Conseil des Etats, ne veut pas que la femme doive invoquer une situation de détresse, il ne veut pas non plus obliger les cantons à désigner les cliniques autorisées à pratiquer les IVG.

Revendications à l’attention du Conseil des Etats

Le Groupe de travail "Interruption de grossesse" où l’USPDA collabore avec six autres organisations féminines faîtières et associations professionnelles – représentant ensemble un demi-million de membres – est satisfait de la décision du Conseil national. Certes, le Groupe aurait préféré un délai de 14 semaines au moins, mais il peut se satisfaire de 12 semaines car, passé ce délai, une IVG reste possible pour des raisons psychosociales.

Le Groupe de travail a néanmoins des doutes quant à la notion de "situation de détresse". Si le Conseil des Etats se focalise sur cette idée, il faut qu’il soit clairement établi que la femme ne doit pas faire valoir sa détresse par écrit et qu’il ne s’agit pas d’une indication qui pourra être vérifiée par des tiers, mais que seule l’appréciation subjective de sa situation par la femme elle-même est déterminante.

En outre, le Groupe considère comme dangereuse l’idée de désigner des cliniques autorisées à pratiquer les interventions. Cette solution comporte deux aspects négatifs : les cantons conservateurs pourraient à nouveau introduire – subrepticement – un système restrictif, et les cliniques désignées comme telles deviendraient une cible facile pour les manifestations de fanatiques opposés à l’avortement. Si une telle disposition devait être introduite dans la loi, il faudrait au moins que les cantons soient obligés de garantir un nombre suffisant de services et que les IVG puissent comme jusqu’ici, être effectuées dans des cabinets médicaux équipés à cette fin.

L’entêtement du PDC

Les deux Chambres sont opposées au modèle démocrate-chrétien selon lequel la femme devrait, avant l’intervention, chercher conseil auprès d’un centre de consultation officiel. Au Conseil des Etats, le PDC a été battu de peu par 21 voix contre 19. En revanche, le 7 décembre dernier, le Conseil national a refusé ce modèle par 116 voix contre 40, encore plus clairement qu’il ne l’avait déjà fait en 1998. L’acharnement avec lequel les démocrates-chrétiens essaient une nouvelle fois d’imposer leur projet ressemble à un caprice !

Une contrainte insensée

Une deuxième consultation obligatoire – en plus de celle avec le médecin – telle que la propose le PDC est rejetée par toutes les organisations professionnelles concernées; toutes estiment qu’un entretien forcé n’a aucun sens. Pour que la communication soit possible, elle doit pouvoir se dérouler en toute liberté.

Ce modèle est non seulement une nouvelle forme de mise sous tutelle de la femme, mais aussi l’expression d’un manque total de confiance dans les femmes en général et dans le corps médical. La seule différence par rapport à la situation actuelle, ce serait qu’au lieu d’une séance obligatoire chez un psychiatre, la femme irait chez une psychologue ou un assistant social pour obtenir l’autorisation d’avorter. Des dizaines d’années d’efforts en vue de réviser le code pénal ne peuvent pas simplement aboutir à une telle solution!

Des neuf pays d’Europe occidentale qui pratiquent un régime du délai, seule la France et l’Allemagne connaissent l’entretien obligatoire auprès d’un service officiel. La Suède a supprimé cette contrainte, et la France est sur le point de le faire. L’Assemblée nationale française a déjà approuvé au début de décembre 2000, par 323 voix contre 222, une modification de la législation selon laquelle une consultation ne devra dorénavant être que proposée – sauf pour les mineures – comme le Conseil national et le Conseil des Etats viennent d’en décider chez nous. 6 pays ont déjà ce genre de réglementation (B, DK, I, N, NL, S).

Dans aucun autre domaine ni dans aucune loi une consultation obligatoire n’est prescrite en plus de l’entretien médical, que ce soit dans le cas d’un test VIH, d’un traitement de la stérilité ou d’une fertilisation in-vitro, encore moins lorsqu’un couple décide d’avoir un enfant, alors que cette responsabilité est bien plus importante que celle d’une IVG tout au début d’une grossesse.

Une majorité du peuple est favorable

Les démocrates-chrétiens affirment que la situation actuelle est intenable et que la décision doit appartenir à la femme elle-même. Avec leur entêtement ils risquent de provoquer un match nul au Parlement, dans le cas où les deux Chambres ne pourraient pas se mettre d’accord. Et si, contre toute attente, le PDC parvenait à imposer son modèle, le gâchis serait total: personne n’a envie de s’engager pour une solution à la PDC, dans une lutte contre un référendum des fondamentalistes. Au contraire, du côté des forces libérales, certains milieux réfléchissent à lancer eux-mêmes un référendum contre ce type de solution.

Il reste à espérer que la raison politique vaincra et qu’en mars une majorité parlementaire soutiendra définitivement un consensus acceptable respectant la femme en tant que sujet autonome et responsable.

Si, par la suite, on devait nous imposer une votation par un référendum, nous la gagnerons : cinq sondages représentatifs réalisés entre 1996 et 2000 par divers instituts ont à chaque fois démontré qu’une nette majorité de 60 à 76 pour cent des citoyennes et citoyens sont favorables au régime du délai.


Décision de l’Assemblée nationale française :
Abolition de l’entretien obligatoire

Le 5 décembre dernier, l’Assemblée nationale française a adopté, par 323 voix contre 222, une révision de la législation supprimant l’entretien forcé avant l’interruption de grossesse, sauf pour les mineures. Le délai a été porté de 12 à 14 semaines après les dernières règles.

De plus, les mineures n’auront plus obligatoirement besoin du consentement des parents si elles ne se sentent pas en mesure de s’adresser à eux. Elles peuvent dans ce cas se faire accompagner par une personne majeure de leur choix. Sous certaines conditions, les IVG pourront désormais se faire dans des cabinets médicaux et plus seulement dans des cliniques autorisées.

L’Assemblée nationale entend sortir l’interruption de grossesse du code pénal et la régler dans une loi spéciale. Dans ses décisions, elle est allée bien au-delà des propositions du gouvernement.

Par la même occasion, l’Assemlée nationale a décidé que la stérilisation – interdite officiellement jusqu’ici en France – doit être légalisée et que l’éducation à la sexualité sera institutionnalisée dans les écoles.

Les organisations féminines et professionnelles, qui ont lutté depuis des années pour l’amélioration de la "Loi Veil" datant de 1975, l’ont emporté sur tous les points. Le Sénat débattra prochainement du projet de loi.

De plus, le 30 novembre dernier, le Parlement a définitivement autorisé la vente en pharmacies de la "pilule du lendemain" (Norlevo) sans prescription médicale. Elle peut également être remise gratuitement aux mineures par les infirmières scolaires.


Pologne :
Les effets d’une loi prohibitive

Depuis 1993 – avec un bref intermède en 1997 – une loi très restrictive sur l’avortement est en vigueur en Pologne. Les femmes sont renvoyées à la clandestinité. D’après un rapport de la "Fédération pour les femmes et le planning familial", on estime les avortements clandestins à 80’000 au moins, voire même 200’000.

A partir de 1956, l’interruption de grossesse était réglée de façon libérale en Pologne. Les raisons sociales étaient acceptées et les interventions pouvaient se pratiquer gratuitement dans les hôpitaux publics. Mais le panning familial n’étant pas favorisé par l’Etat, il était difficilement accessible pour beaucoup de Polonaises. L’IVG était donc une méthode courante de régulation des naissances.

Après la chute du régime communiste et sous l’influence renforcée de l’église catholique, l’accès à l’interruption de grossesse fut radicalement limité, en 1993. Alors que 100’000 IVG environ furent enregistrées annuellement avant 1990, ce nombre chuta à 782 en 1994. La même année, un nouveau Parlement fut élu et décida le retour à une loi plus libérale. Mais le président Walesa y opposa son veto. Après sa non réélection en 1995, le Parlement put s’imposer, mais en 1997, la Cour constitutionnelle, à tendance conservatrice, déclara la révision non valable.

Par conséquent, depuis 1998, l’interruption de grossesse n’est admise que pour des raisons médicales strictes, de viol ou d’anomalie du foetus. La statistique officielle indique 151 interventions en 1999.

Dans la clandestinité

Souvent même des femmes présentant des problèmes médicaux graves, n’obtiennent pas la permission d’interrompre la grossesse. Beaucoup d’hôpitaux publics refusent toute interruption même légale.

La "Fédération pour les femmes et le planning familial" a commandé, en 1999, des enquêtes scientifiques auprès du corps médical, du personnel soignant et de la population féminine sur les effets de l’interdiction de l’avortement. La recherche a révélé qu’il existe en Pologne un "marché noir" florissant de l’avortement et que les interventions clandestines se montent à 80’000 au moins, ce qui équivaut à peu près au nombre d’IVG avant 1990.

1% des 210 femmes interrogées ont avoué avoir avorté au cours de l’année précédant l’enquête. Pour tout le pays, cela correspondrait à 90’000 avortements, pour 400’000 naissances.

Tout le monde sait que dans les cliniques et cabinets médicaux privés des avortements clandestins se pratiquent, en partie à des prix usuriers. Des femmes fortunées se rendent à l’étranger, en Russie, en Allemagne et en Hollande. Dans ce seul pays, plusieurs centaines de Polonaises se font traiter chaque année.

Conséquences défavorables

Lorsque l’argent pour la clinique manque, les femmes ont recours à des non professionnels ou essaient elles-mêmes de provoquer l’avortement. La plupart des infirmières interrogées avaient connaissance de complications dues à de telles manoeuvres.

Le nombre d’enfants abandonnés à l’hôpital après l’accouchement a presque triplé, passant de 252 en 1993, à 737 en 1999.

Contrairement à l’espoir du gouvernement, la baisse de la natalité n’a pas été arrêtée. Bien au contraire, avec un taux de 1,4 enfant par femme, la Pologne se trouve aujourd’hui parmi les pays présentant les taux les plus bas d’Europe.

Contraception

L’enquête de la Fédération a montré également que l’information de la population en matière de contraception s’est améliorée, mais qu’il reste encore beaucoup de préjugés et de méconnaissance. Pour des raisons financières, beaucoup de femmes n’ont pas accès aux moyens anticonceptionnels efficaces, mais chers. Seules 8% prennent la pilule, 25% utilisent des méthodes peu sûres (coït interrompu, calendrier). La stérilisation est interdite en Pologne. La Fédération déplore que depuis 1999, l’éducation sexuelle n’est plus obligatoire dans les écoles et que les manuels scolaires officiels sont lacunaires et contiennent de fausses informations, surtout en ce qui concerne la pilule.


Homepage SVSS / USPDA