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Cécile
… 21h30, ma gynéco m’appelle sur mon portable : "il y a un petit
problème…". J’avais attrapé la toxoplasmose, entre le mois de février et
le mois de septembre, avant ou après le début de ma grossesse. Le monde
s’est écroulé; début d’un long cauchemar. Ma gynéco m’a donné les
coordonnées d’un éminent spécialiste à rencontrer d’urgence et le nom de
l’antibiotique qu’il fallait que je fonce chercher le lendemain matin à la
pharmacie pour "limiter les risques". Impossible de fermer l’oeil, j’ai
passé une nuit, puis deux, à me documenter sur la toxoplasmose, les
risques pour le foetus, les probabilités etc…
Comme je n’avais pas beaucoup d’éléments pour prendre une décision, j’ai
dû tout faire en même temps : prendre RV avec le spécialiste, faire les
démarches d’inscription dans une maternité, faire les démarches en vue
d’un avortement éventuel, le tout avec pas mal de portes qui se fermaient
et des réflexions maladroites du style "ma petite dame, je ne peux rien
faire pour vous, il fallait y penser avant". Des heures au téléphone.
Lorsque j’ai dû aller faire une échographie pour dater ma grossesse,
j’étais en larmes et mon regard a malgré moi croisé l’écran sur lequel le
foetus gigotait. L’échographiste a été sympa et a essayé de me remonter le
moral, il m’a dit qu’à ma place, il arrêterait tout, que c’était trop
difficile à vivre et qu’on ne pouvait pas identifier à l’écho toutes les
séquelles possibles, mais que j’avais un utérus "de toute beauté" et que
je n’aurai pas de problèmes pour avoir un enfant par la suite. Il a réussi
à m’arracher un sourire. Ma grossesse était plus avancée que je ne le
croyais, ce qui ne m’arrangeais pas du tout car j’avais un petit espoir
d’avoir été infectée avant ma grossesse, mais pour le savoir, il fallait
une deuxième prise de sang 3 semaines après la première. J’ai eu beau
faire le tour du calendrier vingt fois, la loi Veil ne me laissait pas ces
trois foutues semaines. Il allait donc falloir décider sans savoir. J’ai
passé des nuits entières à faire des calculs de probabilité, en vain. La
conclusion était toujours la même, le risque était là et il menaçait
terriblement la vie future de cet enfant et la nôtre à tous les 3, mais il
y avait peut-être 98% de chances pour que tout se passe pour le
mieux.[selon d’autres sources il y a 5-15% de risque. ndlr]
Autrement dit, le risque était beaucoup trop lourd pour que j’engage toute
ma famille dans cette voie, mais si je décidais d’avorter, je devrai
assumer le fait d’avoir arrêté la conception d’un enfant qui aurait eu 98%
de chances de devenir un bambin en pleine forme. Je n’ai dormi que deux ou
trois heures par nuit pendant plus de trois semaines. La décision était
prise mais très douloureuse.
J’ai laissé tombé les tentatives infructueuses d’inscription en maternité
mais j’ai conservé mon rendez-vous pris avec le spécialiste, pour aller
jusqu’au bout de la démarche. Je devais le voir 6 jours avant la date de
l’IVG.
J’avais choisi pour mon avortement un hôpital sans service "maternité"
pour éviter d’avoir à entendre les pleurs des nouveaux nés et croiser dans
les couloirs femmes enceintes et jeunes mamans. Dans le service "régulations
des naissances", tout le personnel a été très prévenant et ni
l’obstétricien qui m’a examinée ni la conseillère conjugale n’ont essayé
de me faire revenir sur ma décision. Mon ami est ensuite venu avec moi
chez le spécialiste. A mon grand étonnement, le spécialiste n’avait pas
les mêmes chiffres que moi, j’avais pourtant trouvé ceux-ci dans des
extraits de publications très sérieuses. Ses chiffres à lui étaient moins
alarmants, il y avait de quoi être perplexe. Il a dit qu’il serait en
faveur d’une interruption médicale de grossesse (IMG) si le foetus était
infecté, mais c’est un collège de 3 médecins qui décide et cela ne me
fournissait qu’une assurance relative. Il m’a aussi confirmé que je
n’aurai pas de certitude même après l’accouchement, voire un an après,
voire 15 ans après…
Bref, il ne m’a pas fait changer d’avis non plus. Une amniocentèse
ajoutait 1% de risque en plus, la perspective d’une IMG tardive m’était
tout bonnement insupportable, une telle épée de Damoclès sur notre vie
future était également intolérable à mes yeux comme à ceux de mon ami.
Cependant, les chiffres annoncés, moins alarmants que ceux que j’avais
trouvés par ailleurs, rendaient la décision encore un peu plus lourde.
Lors de mon rendez-vous avec l’anesthésiste de l’hôpital, on m’a donné un
cachet à prendre 48 heures avant l’intervention pour "commencer à arrêter
les choses". Je crois que je n’ai jamais eu autant de mal à avaler un
cachet de ma vie. J’ai eu l’impression de boire la ciguë. Une horreur, une
détresse immense, et beaucoup de larmes.
Le jour de l’intervention, mon ami était encore plus stressé que moi, et
donc pas d’un grand secours. L’intervention elle-même s’est très bien
passée, mais les conditions étaient éprouvantes en raison de la présence
permanente des 6 autres femmes venues elles aussi pour une IVG ce jour là.
J’étais la seule trentenaire, la seule maman, la seule à avoir voulu cet
enfant… Parmi les femmes qui étaient avec moi, il y avait une jeune qui
parlait tout le temps, faisait des blagues, chantait. J’ai réussi à
supporter pendant près de deux heures, puis un quart d’heure avant
l’intervention, c’en était trop, j’ai fondu en larmes. Je pleurais encore
dans le bloc opératoire, je pleurais toujours à mon réveil. Quand je suis
sortie de l’hôpital avec mon ami, il faisait un temps magnifique, nous
sommes allés boire un café. C’était l’heure du soulagement.
Le soir, ma petite fille est rentrée à la maison (elle était chez une
tante). Alors que je lui donnais le bain, elle a vu que j’avais un
pansement au poignet et m’a demandé si j’étais tombée et si je m’étais
fait mal. Je lui ai dit que je m’étais fait un petit peu mal, alors elle
m’a fait un gros calin. J’ai un souvenir ému de ce moment là, c’était très
fort.
Aujourd’hui mon intervention remonte pratiquement à un mois. Le moral est
en dents de scie, mais il se stabilise. Le sommeil est revenu lui aussi.
J’ai planté un rosier tige blanc et j’attends avec impatience qu’il
fleurisse au printemps, pour m’aider vivre avec la douleur que je porte en
moi à présent à la place de ce petit bout d’enfant qui ne naîtra pas, qui
n’aura jamais de nom ni de visage et dont je dois faire le deuil à
présent.
Cette épreuve terrible m’a rappelé une chose : c’est maintenant qu’il faut
profiter de la vie, parce que demain, c’est beaucoup trop loin et on ne
sait jamais ce qu’il peut se passer d’ici là.
Mon ami et moi, c’est sur ces bases que nous avons décidé de repartir,
pour nous, pour notre fille et aussi pour que cette interruption de
grossesse laisse, malgré toute la douleur qu’elle représente, quelque
chose de positif derrière elle. Dans quelque temps, nous essaierons à
nouveau de faire un petit frère ou une petite soeur à notre petite fille.
D’ici là, nous allons croquer tout ce que la vie voudra bien nous offrir
et je pense qu’il n’y a pas meilleur moyen de panser ses blessures. Bon
courage à toutes.