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Interview menée en février 2000 avec le
Dr Christian Fiala, Vienne (Autriche), par Anne-Marie Rey de l'USPDA
Depuis janvier 1999, la Mifégyne
était couramment utilisée à l'hôpital
où travaillait le Dr Fiala, dans les environs
de Vienne. L'importation du médicament à partir de la France avait été autorisée par le ministère autrichien de la santé publique.
Anne-Marie Rey a eu l'occasion de s'entretenir avec le Dr Christian
Fiala sur son expérience avec la méthode médicamenteuse de
l’interruption de grossesse.
AMR : Dr Fiala, depuis environ une année vous utilisez la Mifégyne.
Vous pratiquez une cinquantaine d'interruptions de grossesse par mois
avec cette méthode, ce qui fait maintenant plus de 600 interventions.
Pouvez-vous nous résumer votre expérience ?
Dr Fiala : Notre expérience est très positive. Plus de 90 pourcent des
femmes referaient le choix de la Mifégyne.
AMR : Qu'implique pour la femme une interruption avec la Mifégyne ?
Dr Fiala : Le traitement avec la Mifégyne est un processus qui s’étend
sur plusieurs jours et qui est vécu consciemment, contrairement à
l’intervention plus courte du curetage par aspiration.
AMR : Quelles sont les femmes qui se décident pour la méthode
médicamenteuse ?
Dr Fiala : Les femmes qui choisissent la Mifégyne ne se distinguent pas
particulièrement de celles qui préfèrent la méthode chirurgicale. Il
s’agit surtout de femmes qui désirent une interruption très précoce.
Elles veulent éviter une intervention chirurgicale et une narcose et ne
pas se sentir à la merci d’un médecin. Quelques-unes préfèrent vivre
consciemment le processus de l’intervention et considèrent cette façon
de procéder plus naturelle. Le plus souvent ce sont des femmes qui se
sentent à l’aise avec leur corps et qui en sont conscientes. Elles
veulent jouer un rôle plus actif. Il est intéressant de constater que le
partenaire est aussi beaucoup plus impliqué que lors d’une intervention
chirurgicale. Il va vivre le processus de plus près et pourra corriger
son imaginaire souvent erroné.
AMR : Qu’est-ce qui change pour le médecin ?
Dr Fiala : L'entretien avec la patiente devient beaucoup plus important,
plus long et plus intense. La femme doit être mise à même de choisir
entre les deux méthodes en connaissance de cause. Il faut qu’elle comprenne sur la base
d’expériences vécues quelle est la méthode plus indiquée pour elle.
L'accompagnement pendant le traitement est aussi primordial. Ce n'est
plus le savoir-faire opératoire qui compte.
AMR : La Mifégyne ne peut être utilisée que jusqu’à la 7ème semaine
de grossesse, c'est-à-dire environ trois semaines après la date où les
règles auraient dû réapparaître. A cause de ce bref délai, on reproche
souvent à la méthode médicamenteuse de mettre les femmes sous pression,
ce qui les conduirait à interrompre leur grossesse de façon précipitée.
Dr Fiala : Nous ne pouvons pas confirmer cette impression. Quelques
jours après un retard de règles beaucoup de femmes savent déjà qu’elles
sont enceintes. Si la grossesse n'est pas désirée, souvent leur
détermination à ne pas la porter à terme est clairement prise peu de
temps après. Fréquemment la femme est soulagée lorsqu’elle peut obtenir
une interruption très précoce. La méthode par aspiration n’est
généralement pas appliquée si tôt. Les femmes qui arrivent rapidement à
la conclusion que l'interruption de la grossesse est pour elles la
meilleure solution, n’ont donc pas à attendre une à deux semaines, ce
qui leur épargne une épreuve psychique et physique supplémentaire. Pour
les autres, l'intervention chirurgicale qui est une méthode tout aussi
éprouvée reste disponible, bien sûr.
AMR : Est-ce que les femmes décident plus facilement d’interrompre
une grossesse, puisqu’elles n’ont qu’à avaler une pilule ?
Dr Fiala : Il est absurde de penser qu’une femme va se décider pour ou
contre une grossesse sur la base de détails techniques. De plus,
l’interruption avec la Mifégyne n’est en général pas plus aisée. La
décision d’interrompre la grossesse est prise avant le choix de la
méthode, et elle est indépendante des méthodes à disposition. Preuve en
est que le nombre d'interruptions n’a pas augmenté en France, en
Grande-Bretagne et en Suède depuis l’introduction du médicament, il y a
une dizaine d’années.
AMR : D'autre part il y a la crainte que l’interruption par la
Mifégyne ne soit psychologiquement très lourde, puisque la femme
déclenche elle-même le processus et y participe activement.
Dr Fiala : Ce n’est pas correct. Comme je l'ai déjà indiqué, le fait que
la grossesse peut être interrompue très tôt et sans intervention
chirurgicale apporte souvent un grand soulagement aux femmes. Elles sont
particulièrement soulagées qu'aucune structure embryonnaire n'est encore
visible à l'ultrason à ce stade de la grossesse. Par contre, les doutes
sur l’efficacité de la Mifégyne et sur le déroulement de l’intervention,
la crainte d’éventuelles douleurs et l’attente des saignements peuvent
être assez lourds à supporter. Il faut y préparer les femmes lors de la
consultation avant l’intervention. Mais la plupart des femmes sont
étonnées que tout se passe bien plus simplement qu’elles n’avaient
imaginé. Dans la grande majorité des cas, le déroulement du traitement
est beaucoup moins dramatique de ce qui se dit dans les discussions en
public. Un accompagnement psychologique est toujours offert après le
traitement, mais il n’est pratiquement jamais demandé, pas plus
d'ailleurs qu'après une interruption par aspiration.
AMR : Qu’en est-il des effets secondaires ? Est-ce que les femmes ont
de fortes douleurs et des saignements abondants ?
Dr Fiala : Quelques femmes vivent l’interruption comme des règles
normales et n’ont pratiquement pas de problèmes. A peu près 80 pourcent
ont des douleurs comparables à celles de règles douloureuses. 20
pourcent ont besoin d’un analgésique léger. Les saignements sont
généralement plus abondants que ceux des règles normales et peuvent
durer jusqu’à une dizaine de jours.
AMR : Vous êtes donc satisfait que la Mifégyne soit maintenant
disponible dans d’autres pays que ceux où elle est appliquée depuis une
dizaine d’années ?
Dr Fiala : Il n’y a pas d’autres exemples en médecine où un médicament
sûr et efficace ait été dénié à la grande majorité des femmes d'Europe
pendant plus de 11 ans ! La Mifégyne est pour beaucoup de femmes une
alternative bienvenue. Le bon déroulement de l’intervention et le grand
degré de satisfaction des femmes concernées reposent sur une bonne
information, une écoute active et un accompagnement compatissant pendant
le traitement. Il importe que la femme puisse choisir la méthode sur la
base de son vécu et en tenant compte de son entourage.
AMR : Dr Fiala, nous vous remercions de cet entretien.
Les femmes doivent avoir le choix de la méthode
Interview avec le Dr Judit Pòk, service gynécologique de l'Hôpital universitaire de Zurich, menée en février 2000 par Anne-Marie Rey de l'USPDA
Dans le service de gynécologie de l'Hôpital universitaire de Zurich, la Dresse Judit Pòk, médecin-chef, a participé aux travaux destinés à préparer l'introduction de la méthode médicamenteuse de l'interruption de grossesse. Ce choix est offert aux patientes de cette clinique depuis fin octobre 1999. Anne-Marie Rey s'entretient avec la Dresse Pòk.
A.M.R. : Dr Pòk, depuis octobre 1999, l'interruption de grossesse par Mifégyne a été introduite dans le Service de gynécologie de l'Hôpital de Zurich. Comment une femme doit-elle s'annoncer chez vous lorsqu'elle envisage une IVG ? Comment les choses se passent-elles dans votre Service en cas d'IVG médicamenteuse ?
Dr Pòk : Les femmes peuvent nous appeler directement, demander le service de planning familial et faire part de leur désir. Après un examen aux ultrasons et les premiers entretiens, les démarches suivantes sont mises en route et l'expertise psychiatrique est organisée.
A.M.R. : Combien de femmes sont-elles traitées hebdomadairement par cette méthode ? Pouvez-vous résumer brièvement votre expérience ?
Dr Pòk : Nous voyons environ deux femmes par semaine pour l'IVG médicamenteuse. Les expériences faites jusqu'ici sont bonnes dans l'ensemble, avant tout, je pense, parce que les femmes ont eu le choix de la méthode.
A.M.R. : La Mifégyne ne peut être utilisée que jusqu'au 49e jour après les dernières règles, c'est-à-dire environ 3 semaines après la date où les nouvelles règles auraient dû se produire. Est-ce que beaucoup de femmes s'annoncent chez vous trop tard, au moment où cette méthode ne peut plus entrer en ligne de compte ?
Dr Pòk : Toutes les femmes ne remarquent pas dès le retard des règles qu'elles sont enceintes. D'autre part, beaucoup de femmes dont la grossesse n'a pas été planifiée ne savent pas d'emblée si elles pourront l'assumer ou non. Ces femmes ont besoin de temps pour prendre leur décision.
A.M.R. : Quelles sont les femmes qui optent pour la solution médicamenteuse ?
Dr Pòk : C'est difficile à dire. Je ne vois pas de type particulier de femme.
A.M.R : Comment les femmes supportent-elles l'intervention par la Mifégyne ? L'on a craint que ce ne soit psychiquement très pénible, car la femme déclenche elle-même et vit activement le processus.
Dr Pòk : A mon avis, cela dépend beaucoup de la constitution psychique de chaque femme. Nombre d'entre elles apprécient précisément cette participation active.
A.M.R.: Souvent on entend aussi exprimer la crainte que les femmes ne prennent leur décision de façon précipitée vu le délai relativement bref durant lequel l'interruption de la grossesse par la Mifégyne est possible.
Dr Pòk : Ceci représente effectivement un certain danger. La décision pour ou contre l'interruption de la grossesse ne devrait jamais être prise à la hâte. Lors des entretiens, nous avons le devoir d'attirer l'attention de la femme sur le fait qu'une intervention reste possible après le 49e jour, mais alors par voie chirurgicale.
A.M.R. : Qu'en est-il des effets secondaires ? On parle de fortes douleurs et de pertes de sang. Quelles sont vos expériences ? Y a-t-il eu dans votre service de graves complications ?
Dr Pòk : Les pertes de sang et les douleurs sont comparables à celles d'une forte menstruation. En cas de fortes douleurs, des analgésiques sont administrés. Nous n'avons jamais eu jusqu'ici de sérieuses complications.
A.M.R : Quels sont selon vous les principaux avantages de la méthode médicamenteuse ?
Dr Pòk : Chacune des deux méthodes, chirurgicale et médicamenteuse, a ses avantages. Il me paraît important que les femmes aient une véritable possibilité de choix. Pour celles d'entre elles qui redoutent une intervention chirurgicale, la méthode médicamenteuse est la méthode de choix.
A.M.R. : De vos expériences, je déduis que vous vous félicitez du fait que la Mifégyne soit maintenant autorisée en Suisse ?
Dr Pòk : Oui, certainement.
A.M.R. : Dr Pòk, je vous remercie de cet entretien.