Avortement - Interruption de grossesse : Pour le droit au libre choix



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Extrait du  Courrier USPDA 7.9.1991

Rien n’oblige une femme à enfanter

De l'avis de MONIKA FROMMEL, professeure de philosophie du droit et de droit pénal à Francfort, les débats actuels autour de l'article 218 du Code pénal allemand concernant l'interruption de grossesse [avant l’introduction de la solution du délai en 1996. Remarque A.M. Rey] ignorent complètement l'aspect du droit à la personnalité de la femme enceinte. Nous résumons ci-dessous son article paru dans la "ZEIT" du 16 août 1991.

Pour quelle raison politiciens et politiciennes nous infligent-ils/elles des propositions de réforme législative aussi irréfléchies, surcompliquées et inadéquates que le projet de loi du FDP concernant l'article 218 (solution du délai et consultations obligatoires). La réponse est simple: prétendument parce qu'un arrêt de la Cour constitutionnelle de 1975 les contraint à une réforme qui n'en est pas une.

Les arrêts de la Cour sont utiles à l'interprétation de la Constitution, mais ils sont en tout temps sujets à modification. En d'autres termes: ils ne lient ni le pouvoir législatif, ni le judiciaire.

Autant la version actuelle de l'art. 218 que les révisions proposées par le FDP et la CDU/CSU entraînent une intolérable aggravation de la situation des femmes de l'ex-RDA. La menace de sanctions y va en effet de pair avec une réduction du soutien dont elles ont bénéficié à ce jour. La devise n'est pas d'aider au lieu de punir, mais d'imposer des consultations au lieu d'aider. En conséquence, la Cour constitutionnelle peut sans aucunement perdre la face relativiser son arrêt de 1975. Le jugement pourrait conclure en disant qu'est conforme à la Constitution toute loi qui respecte les droits fondamentaux de la femme sans atteindre de manière disproportionnée aux valeurs incorporées par la vie en germe.

Pourquoi ceci est-il si difficile à comprendre? La minorité d'experts en matière juridique a apparemment réussi à persuader tout le monde que la Constitution n'accorde aux femmes aucun droit fondamental à une décision autonome, raison pour laquelle l'éventail des propositions de réforme se limite pour ainsi dire aux positions situées entre "la protection de la vie" et "aider au lieu de sévir". Une sorte de blocus intellectuel empêche toute approche innovative. La critique radicale reste généralement "non-juridique". Une discussion ayant pour objet les droits fondamentaux de la femme enceinte est exclue d'emblée, tandis que la "protection de la vie" est reconnue en tant que problème constitutionnel et juridique à régler dans ses moindres détails.

Les juristes progressistes eux/elles-mêmes y voient une question de caractère purement politique ou social se dérobant à toute considération de caractère technique – ce qui revient à renoncer par forfait à motiver de manière juridique le droit de la femme enceinte à la liberté de décision. Il nous faut donc nous appliquer à culbuter quelques légendes juridiques. Commençons par la controverse autour du droit à la vie de l'embryon.

La légende du droit à la vie

Nul tribunal n'a jamais concédé à l'embryon un droit subjectif ou même un droit fondamental à la vie. Au contraire: tout préjudice intra-utérin infligé par un tiers ne viole aucun droit de l'embryon; il ouvre uniquement la possibilité de se baser sur le préjudice prénatal lorsque celui-ci se répercute sur l'état de santé au stade postnatal. Au sens du droit civil, c'est l'être humain après sa naissance qui subit le préjudice. La thèse sans cesse répétée d'un droit à la vie de l'embryon ne correspond donc nullement à une construction juridique reconnue, mais représente une position morale. En aucun cas peut-elle être considérée comme une interprétation défendable de l'arrêt de la Cour constitutionnelle.

La Cour avait alors ses bonnes raisons de suivre une autre voie relativement difficile à comprendre. Elle n'a pas déduit l'obligation de la femme d'enfanter (sous peine de sanction) de la reconnaissance de l'embryon en tant que "personne" au sens du droit. Mais, de l'obligation de l'Etat de protéger la vie embryonnaire, elle a déduit un devoir de l'Etat de discipliner la femme, si nécessaire au moyen du droit pénal, pour qu'elle mette sa vie au service de la vie en devenir.

La construction d'un devoir d'enfanter

La Cour constitutionnelle ne se base donc point sur un droit (au sens strictement juridique) à la vie, mais déduit paradoxalement de l'obligation de l'Etat de protéger la vie embryonnaire une obligation légale de la femme enceinte d'assumer toutes les charges "normalement" liées à la grossesse. Probablement afin de camoufler la violation des droits élémentaires de la femme qu'une telle exigence inouïe implique, les juges ont aussitôt relativisé leur position: ne bénéficierait de la protection constitutionnelle non seulement la vie en devenir, mais également la liberté de conscience de la femme, quoique dans un sens très restreint, c'est-à-dire lorsque les motifs de sa décision étaient "respectables".

La Cour déplace par ce biais le fardeau de la preuve. Il revient à la femme de justifier pour quelles raisons elle se refuse exceptionnellement à se soumettre au devoir d'enfanter – par exemple parce que la responsabilité pour un enfant la mettrait dans une situation intolérable. Ce truc rhétorique permet à la Cour de laisser la liberté de conscience de la femme tourner à vide. Elle limite simultanément – dans une proposition subordonnée – tout un catalogue de droits fondamentaux. Elle se ferme à la constatation que le postulat d'une obligation d'enfanter viole l'essence du droit à la personnalité et que l'exigence de motifs "respectables" enfreint la liberté de conscience. Ou bien la femme a le droit de décider sur la base de sa conscience, ce qui exclut toute distinction entre motifs "respectables" et autres; ou bien elle est privée de ce droit, ce qui ne va pas sans expliquer de quel droit elle peut être contrainte d'assumer une responsabilité qu'elle ne veut ou ne peut pas assumer.

En d'autres termes: la Cour a purement et simplement ignoré la problématique des droits fondamentaux telle qu'elle se présente du point-de-vue de la femme. Pour celle-ci, l'opinion de la Cour selon laquelle l'Etat a pour obligation de protéger la vie embryonnaire envers et contre la volonté de la femme signifie

Ce n'est qu'à l'égard de tiers que l'art. 218 représente une interdiction. Pour la femme, il s'agit d'un commandement qu'elle doit respecter sous peine de sanctions pénales, qui lui impose des obligations légales positives. De telles obligations se distinguent des interdictions normalement formulées dans un code pénal. Celles-ci se limitent à interdire de porter préjudice aux biens d'autrui, sans contraindre à un comportement actif. Une femme ayant une grossesse involontaire, elle, ne peut se limiter à se plier au principe civique général consistant à omettre de porter préjudice à autrui. Elle doit agir, supporter et se préparer avec toute sa personnalité à sa nouvelle fonction.

La Cour constitutionnelle resta aveugle à tout ceci. Si elle semble adopter l'argument que les femmes ont quelque chose ressemblant à un droit à l'autodétermination, ce n'est que pour le laisser tomber aussitôt, ce qui montre qu'elle ne s'est occupée que très superficiellement des droits fondamentaux de la femme. Elle ne les thématise en effet qu'en rapport avec un droit particulièrement facile à limiter: le droit général à la liberté d'action. Or qui ne voit en l'interdiction de l'IVG qu'un problème relevant de la liberté d'action fait mine de croire qu'il s'agit uniquement de ne pas porter préjudice à un être tiers. Sous cette perspective, l'obligation à la maternité est considérée comme évidente.

L'obligation d'accomplir un devoir de cette portée sous la contrainte dépasse de si loin tous les devoirs civiques généraux qu'elle constitue une violation de l'autonomie morale. Elle ignore l'essence du droit à l'identité personnelle garanti par la Constitution.

La liberté de décision

Le "droit à l'avortement" ne peut être entendu comme un droit à disposer d'une vie humaine. Il ne s'agit pas d'un droit accordé à la femme à l'encontre d'un tiers importun, à l'instar du droit à la légitime défense ou à l'état de nécessité, mais d'un droit apparenté à la liberté de conscience et d'opinion et résultant du postulat de l'autonomie morale de l'individu. Il est le revers de la responsabilité liée à la maternité. Dans une société libre, une relation d'être à être comportant des devoirs aussi étendus que la maternité ne peut être assumée que volontairement et ne peut pas être imposée par la contrainte du droit pénal. Le droit à l'autodétermination de la femme ne signifie donc pas – à mes yeux – un droit à la libre disposition, mais le droit à une maternité responsable. Ce droit fait partie des droits fondamentaux. Le dénier signifie la fin d'un ordre juridique basé sur le principe de la liberté.

L'argumentation peut se baser sur les principes constitutionnels suivants: la dignité de la personne, la liberté de conscience en relation avec le droit au respect de la personnalité et le droit à l'égalité, qui est violé partout où sont imposées aux femmes des obligations particulières. L'art. 218 prévoit, sanctions pénales à l'appui, une obligation d'enfanter, partant une obligation juridique qui ne peut concerner que des femmes.

La distinction conceptuelle entre droit à la libre disposition et droit à la libre décision permettrait de mettre fin à la guerre de religion. Il est possible de reconnaître la valeur éminente de la vie en devenir tout en évitant d'imposer à la femme enceinte une intolérable obligation d'enfanter. Le respect de la personnalité de la femme et le postulat d'un devoir de l'Etat de protéger la vie embryonnaire ne se contredisent pas. Une collision ne consiste que pour qui, comme la Cour constitutionnelle, déduit de ce devoir de protection un devoir de punir.

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